
C’était un beau samedi. On s’était dit, tiens, si on suivait le Rhône.
Départ de Lyon, berceau des Gaules, jusqu’à Orange, pour le théâtre et pour la vigne, pour les cyprès, qui font de grandes virgules, pour le vent, le parme, pour revoir, même de loin, le géant de Provence, gravi il y a un an, et pour se faire croire, que sans la bonne table, la piscine d’eau claire et les copains qui nous y retiennent, d’un coup de pédale, un rien d’effort en plus, on pourrait comme qui rigole, aller boire un pastis à Marseille.
Six tandems se retrouvent devant la halle Tony Garnier. Il est six heures et personne ne réfléchit vraiment. Fred vérifie la mécanique, Joc est gai comme un pinson, Christophe n’a pas fini sa nuit et Reynald patiente, immobile et confiant, la main posée sur son tandem.
Il y eut quelques ajustements, un changement de monture un peu au dernier moment, et puis la flotte s’engage, enjambe le Rhône, une première fois. La prochaine, ce sera après Viviers, là où le fleuve se divise, comme s’il voulait profiter un peu de la douce Provence, avant de s’épandre vers la mer.
Jean-Louis a concocté une feuille de route aux petits oignons ; nous suivrons en grande partie la D86, rive droite du Rhône. Entre les points de rencontre, prévus tous les 60 km environ, chacun roulera à son rythme. Tihnga et Stéphane, aux manettes des camions, escortés par Sarah, nous attendront, veilleurs de notre route, prêts à assurer notre sécurité et nos ravitaillements.
Nous échappons à Lyon, avant son grand réveil. Givors émerge à peine, lorsque nous la passons, la route étale son ruban gris et le fleuve dans des trouées d’arbres tendres scintille comme un mica. Dans la quiétude de ce jour blond, la magie opère, nous roulons, et c’est une chose toute naturelle, les pilotes se passent les relais, pour que chacun, à son tour, puisse se reposer dans une roue. L’échange se fait sans y penser, nous sommes une équipe, un banquet, nous sommes l’effort et le réconfort, les yeux, les jambes, unis et soudés, et le fleuve à nos côtés, c’est étrange, maintenant qu’on y pense, s’est arrêté un instant de couler puis s’est glissé dans notre sillon, pour que nous le guidions vers Orange !
A Soyons 117e kilomètre, le staff de camionneurs vautré devant des demis de blondes, persuadé d’avoir du temps, avant notre arrivée, voit avec surprise le train des équipages, débouler, pour les premiers, à une moyenne de 35 km à l’heure ! Nous déjeunons, et sous l’ombre des grands platanes, les corps se repaissent de pâtés, de fruits, de boissons fraîches et de franches rigolades.
Gilbert transmet son tandem à Sophie, qui faisait la première partie de route en solo. C’est qu’il en a fait du chemin, Gilbert, notre dernière recrue, pilote généreux et fidèle, toujours prêt à conduire Bernard, Anaïs ou Éric. Dans un an, je vous le prédis, on ne l’arrêtera plus !
Et puis il y a René, notre incroyable doyen. René ne bronche pas. Il pédale, droit vers la mer ; qu’est-ce que 220 kilomètres pour un homme qui a roulé dix fois la terre ?!
Les villages s’enfilent comme des perles, au bord du Rhône, ils tissent une ribambelle, que nous remontons, comme une corde à nœuds. Il fait chaud sous le grand soleil de mai, et parfois, l’ombre des platanes, au bord de la route, nous repose les yeux.
À Viviers, 180e kilomètre, les organismes tirent un peu. Des amis de Joachim nous accueillent, roses, sourires et trompette en bandoulière ! Le staff a sorti la cagette de fruits, il ne nous reste plus que quarante kilomètres, presque rien, une toute petite sortie, et personne ne bronche, Orange est presque ici, on la sent, on la songe, on savoure, on le sait déjà, la fin est une formalité.
Reynald s’accroche, il nous impressionne. Ivan le pilote, l’encourageant sans cesse, blaguant comme à son habitude, pour faire passer la fatigue, qui commence à peser. Allez, allez Reinaldo, et toi aussi René ! Allez Éric, allez Bernard, Joc, appuie encore, et toi aussi Christophe, l’Arc de Triomphe est juste là, au bout, vous ne le voyez pas, mais vous l’entendez bien, il hurle de toute la joie de nous voir arriver, Sarah, Anne-Lise, Tihnga, Stéphane, quel accueil, quel finish ! Même les voitures se sont arrêtées, et nous faisons un tour de plus, juste pour la gloire, nous sommes le Tandem Club Rhodanien, et nous arrivons de Lyon, sur nos fiers destriers !
La maison de Éric nous accueille comme des rois ; un brin de toilette, un plouf dans la piscine, dégustation de vin, dîner sous la tonnelle. Qu’il est bon cet instant, lorsque fatigué et fiers, on regarde derrière et on se dit, bien sûr, il est là le bonheur, dans le sport et l’effort, le partage et l’entraide, et dans un verre de bon vin, avec de bons amis, au bord d’une piscine.
Lyon, départ le samedi 14 mai 6h30
Orange, arrivée 17h30
Merci infiniment à Éric et à Anne-Lise pour leur accueil extraordinaire !
Par Sophie.